Par Denis Robert, avec Frédéric Thouron, Sylvie Caster, François Forcadell, Francis Kuntz, Bob et Catherine Sinet, Virginie Vernay, Laurent Cavanna, Jérôme Cavanna, Marie Montant.
Cher Olivier Nora,
Je vous écris en votre qualité de PDG de la maison Grasset et d’éditeur de Philippe Val. Nous nous sommes croisé un soir – vous en souvenez-vous ? – au sortir de la galerie W rue Lepic à Paris. Ne voyez aucune agressivité à ce courrier. Il est normal qu’un éditeur défende son auteur. Cependant, un éditeur doit aussi entendre les remarques et doléances de personnes mises en cause ou blessées par les propos tenus dans les livres qu’il édite. C’est l’objet de cette missive.
Étant l’auteur d’un ouvrage traitant globalement du même sujet que Mr Val (Mohicans, paru en novembre chez Julliard), c’est auprès de moi que beaucoup de personnes et de familles se sont manifestées et se sont émues, après avoir vu leurs proches et eux-mêmes caricaturés ou maltraités dans le livre de Philippe Val.
C’est dès lors en mon nom comme aussi bien aux noms de Laurent et Jérôme Cavanna, de Virginie Vernay, de Catherine et Bob Sinet, de Francis Kuntz, de François Forcadell, de Frédéric Thouron et de Sylvie Caster et de Marie Montant que je vous écris.
L’ouvrage de Philippe Val (C’était Charlie) contient de nombreuses inexactitudes, erreurs et contrevérités. Au-delà de l’énumération qui va suivre et qui n’est pas exhaustive, nous trouvons tous que le procédé qui consiste à faire parler des morts (Cavanna, Choron, Gébé ou même Charb et Cabu) est particulièrement retors. Beaucoup de choses rapportées par Philippe Val ne sont pas vérifiables. Et pour tous ceux qui ici ont connu et aimé ces défunts, la plupart des « propos » reproduits paraissent au minimum invraisemblables.
Votre auteur fait dire dès les premières pages des mots à Cavanna qui sont invérifiables concernant notamment Siné et qui sont diffamatoires.
Votre auteur fait dire à un dessinateur nommé Babouse – page 20 – que Bob Siné aurait, publiquement et lors d’un comité de rédaction, indiqué qu’il aurait aimé pousser Philippe Val au suicide. Votre auteur en fait un argument justifiant son livre. Babouse, qui n’a jamais participé à aucun comité de rédaction de Siné Hebdo, le nie. Bob Siné aussi.
Parfois, ce sont des détails…
Contrairement à ce qui est indiqué page 29, Cavanna n’assistait pas régulièrement au déjeuner chez Lipp. Tout au plus y a-t-il participé deux fois.
Contrairement à ce qui est indiqué page 40, Philippe Val n’a jamais appelé Francis Kuntz pour lui annoncer qu’un des ses dessins était supprimé dans le journal La Grosse Bertha. C’est l’éditeur Jean-Cyrille Godefroy qui s’est chargé de la corvée. Quant au dessin lui-même, Philippe Val en change totalement le sens.
Contrairement à ce qui est indiqué page 41, la version de l’éviction d’Arthur (de son vrai nom Henri Montant) est fausse.
Contrairement à ce qui est indiqué page 44, il n’y a jamais eu à l’intérieur de l’équipe de Charlie (sauf dans l’esprit de votre auteur) de fracture concernant l’antisémitisme.
Concernant sa relation de La Grosse Bertha Philippe Val indique que dès le n°3 Cabu aurait mis le rédacteur en chef « à la porte ». François Forcadell a dirigé la rédaction jusqu’au n°12 en collaboration étroite avec Cabu. Il n’a jamais été licencié. Les ventes, après son départ, étaient de 20 000 exemplaires. Contrairement à ce qu’il indique, Philippe Val n’a jamais été le maître d’œuvre de cette publication qui n’a jamais eu aucun rapport avec L’Idiot International, ni n’a jamais eu aucun lien avec des « nationalistes fascistes ».
Parfois, ce sont des inventions qu’il faudrait rectifier, tant la volonté de réécrire une histoire favorable à votre auteur est manifeste.
Sur l’actionnariat, page 67, Philippe Val écrit que « Ni Cavanna ni Wolinski ne voulaient mettre un centime dans l’affaire ». Virginie Vernay, la collaboratrice et amie de Cavanna, a pourtant retrouvé la lettre adressée aux éditions des Échappés en 2009, où revenant sur la reparution de Charlie Hebdo en 1992, Cavanna rappelle :
« … sans que je m’en doute, une société de gestion s’organisait, des actions se distribuaient… Il paraît qu’on m’en a proposées. Je n’en ai nul souvenir. En tout cas, si on l’a fait, on n’a guère insisté ou crié dans mon oreille sourde. J’étais donc, paradoxe, propriétaire exclusif du journal de part le droit d’auteur, et je n’en possédais rien. Mon insouciance pour les questions d’argent mais aussi mon manque de sens de l’intérêt faisait que, stupidement, je ne me rendais pas compte des profonds changements. »